1856 Le père de Narcisse Pelletier est cordonnier à St Gilles sur Vie en Vendée. Il aurait bien voulu que son fils reprenne sa boutique. Mais pour le jeune Narcisse c’est l’océan qui le fascinait le plus. Le plus souvent c’est sur les quais du port qu’il porte ses pas, plutôt que sur les bancs de l’école.
À force d’insistance et contre l’avis de son père, Narcisse finit par embarquer à 12 ans comme mousse sur un trois mâts, le Saint-Paul, en juillet 1857 sous les ordres du capitaine Pinard.
Direction les Indes en passant par le cap de Bonne Espérance pour aller livrer dans les colonies anglaises... du vin !
Après Bombay, direction la Chine pour y prendre livraison d’une drôle de marchandise : 317 coolis chinois destinés à alimenter la main d’oeuvre des mines d’or d’Australie. 317 bouches à nourrir pendant toute la traversée en plus des 20 hommes d’équipage.
Sauf que les vents sont défavorables, le bateau fait du surplace, chaque jour passé en mer coûte de l’argent au capitaine. Pas question que l’investissement de départ et le bénéfice escompté à l’arrivée soit mangé par trop de nourriture donnée aux chinois.
Décision est prise de prendre le plus court chemin au large des îles Salomon, quitte à affronter des courants contraires.
...SUR FRANCE CULTURE !...
1858 Le Saint Paul fait naufrage près de l'Ile de Rossel en Nouvelle Guinée. L'équipage européen subi aussitôt l'attaque des insulaires et sont obligés de s’enfuir en chaloupe.
Les 317 chinois laissés sur place finissent par être tués par les habitants de l'Ile de Rossel.
Pendant ce temps sur la chaloupe, ceux des marins qui ont échappé à l’attaque des insulaires doivent maintenant endurer la faim et la soif. Certains meurent et leurs corps sont jetés à l’eau sans autre forme de cérémonie. Les survivants durant 5 semaines dérivent dans la Mer de Corail et finissent leur errance en Australie, dans le voisinage de Cap Direction. L’eau leur a tellement manqué qu’ils ont été obligés de boire leur urine.
A terre, au cours d'une des expéditions pour chercher de l'eau, Narcisse se trouve séparé de ses compagnons. A son retour sur le rivage il constate que la chaloupe est repartie sans lui. Le voilà donc tout seul dans ce pays inhospitalier. Il a 14 ans et comme seule compagne la rancoeur de l’abandon.
Et toujours pas d’eau, rien à manger...
Au bout de 3 jours, presque mourant il se retrouve face à 3 femmes entièrement nues. De part et d’autres c’est la sidération. Les 3 femmes croient voire une apparition surnaturelle tandis que Narcisse croit sa dernière heure venue, livré aux mains d’une tribu cannibale…à moins que ce soit la mort en personne venu le chercher ?
C’est une famille, un clan aborigène du peuple Uutaalnganu qui le recueille. Ils lui donnent à boire, à manger, le remettent sur pied. Rapidement le chef du clan qui s’appelle Maademan lui donne un nom aborigène : Amglo.
A 14 ans pour Narcisse, quoi faire d’autre que vivre ? Survivre coûte que coûte... S’adapter, ré-apprendre, re-découvrir, rencontrer l’inconnu, l’exil, le bizarre et l’étrange. Sans doute le luxe de sa jeune cervelle !
Narcisse va donc mener la vie d'un aborigène...Pendant 17 ans !
17 années durant lesquelles il va perdre l’usage de la langue maternelle au profit de la langue du clan. Il apprendra à pêcher à mains nues, découvrira les rites et les coutumes, il sera initié à la culture aborigène et connaîtra «le temps du rêve». Il sera marié par le chef du clan Maademan et aura 2 enfants.
Version payante VOD HD location pour 48heures = 2€ : https://vimeo.com/317468600
Il ne restera rien de l'homme «civilisé» qu’il était auparavant.
Maintenant il est scarifié par incision à la mode aborigène. Ses oreilles sont largement percées et le Ztigau mélanésien en os lui traverse la cloison nasale.
17 années d’une vie de «sauvage», 17 années au coeur d’une nature encore vierge et préservée, 17 années pour un oubli total de son ancienne vie...
Narcisse est devenu Amglo, un aborigène blanc.
1875, Narcisse a 31 ans.
Un jour un navire anglais, le John Bell, mouille au large de la plage où Amglo a ses habitudes de pêcheur. Les gens du bateau le repère facilement. Cet homme à la peau blanchâtre qui vit presque nu avec ces sauvages, Est-ce normal et acceptable ? N’est-ce pas la haute trahison de sa culture blanche ? Impensable !
Une chaloupe est mise à l’eau, on s’approche, on parlemente et finalement Narcisse est récupéré et contre son gré mis en fond de cale.
Bien plus tard à Sydney, Narcisse est remis au Consul de France, Georges-Eugène Simon.
Le Consul essaie de l'interroger, mais Narcisse ne comprend rien. On lui montre les lettres d'une famille de Vendée qui chaque année, depuis 17 ans, écrit pour demander des nouvelles d'un fils dont on n'a plus entendu parler.
Le Consul lui demande son nom, lentement, doucement, comme on parle aux enfants, en nommant le nom de sa ville natale. Mais Narcisse malgré ses efforts inouïs pour se rappeler, n’a que de vagues images floues qui s’agitent dans son esprit.
Quelques semaines plus tard il réussit péniblement à écrire une 1ère lettre à ses parents, qui jusque là le considéraient comme mort.
Bien plus tard encore, en quittant La Nouvelle Calédonie pour la France, il écrit encore 3 lettres à ses parents. Tant de temps à rattraper...
Finalement celui que la presse australienne surnommait "Le sauvage blanc" retrouve son pays natal et ses parents en 1876 à Saint-Gilles-sur-Vie, ovationné par une foule en liesse.
Le 18 octobre 1880, Narcisse se marie à St Nazaire avec Louise Mabileau. Devenu gardien du phare de l'Aiguillon dans l'estuaire de la Loire, il meurt en 1894 sans avoir eu de nouvel enfant.
Ensuite ? L’histoire de Narcisse Pelletier tombe un peu dans l’oubli.
Pourtant il semblerait que depuis quelques temps, comme une vieille photo retrouvée au fond d’une malle, son extraordinaire Odyssée fascine à nouveau.
Il n’est que de voir les livres et le film(*) qui depuis quelques années fleurissent et racontent ce fabuleux voyage.
Un récit qui fait échos au plus intime et en même temps raisonne fortement avec notre temps présent. Une aventure digne d’un Ulysse moderne qui nous offre un récit mythique à la hauteur de celui de Homère. Il y est question de l’exil, de l’altérité, d’un autre monde à découvrir et surtout d’un long retour à entreprendre...
* "Narcisse Pelletier Naufragé Aborigène" de Serge Allery diffusé sur France 3
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